La revue Écrire l’histoire a demandé à des gens ordinaires plutôt qu’à de grands acteurs historiques de raconter l’image, le petit fait, l’anecdote qui leur venait en tête à propos des événements de mai 68.
Paroles et textes réunis par Caroline Julliot et Claude Millet
Gilbert, aujourd’hui cadre dans une banque française
Pour moi, Mai 68, c’est d’abord l’absence d’école pendant pratiquement deux mois. Au début, on trouvait ça très très drôle, et puis au bout d’un certain temps, on a commencé tout de même à s’inquiéter. On se demandait si oui ou non on allait retourner un jour à l’école. Ça nous a permis de faire plein de choses à côté, mais on regardait quand même les reportages à la télévision. On se souvient, enfin je me souviens, que les rues étaient couvertes de pavés à l’époque, et que les étudiants les descellaient, ou les déterraient pour les lancer aux CRS – qui n’étaient pas d’ailleurs en manque de réponse. C’était un climat assez alarmant. Mais bon, j’avais huit ans à l’époque et je n’étais pas vraiment angoissé, même si ma sœur, qui avait dix ans de plus que moi, était parfois mêlée aux manifestants, sans que je sache exactement ce qu’elle faisait, ni où elle était, ni comment elle participait ou pas aux événements.
Denise, née en 1938, institutrice en 1968 à Morhange
Nous étions dans l’expectative. Il y avait des réunions où je n’osais pas aller. Le climat était méchant. Les enseignants étaient mécontents de leur salaire. Mon mari, qui était paysan, trouvait qu’ils exagéraient. Il assistait à des réunions syndicales. Il en revenait en disant : « On se croirait au temps de Khrouchtchev. Tous s’interpellent en levant le poing et en criant : “Camarades ! Camarades !” » Il n’avait pas l’habitude de tant de bruit, lui qui se trouvait la plupart du temps seul dans ses champs.
J’avais un enfant de trois ans qui rentrait à la maternelle. Il n’y avait plus qu’une seule maîtresse (les autres faisaient grève). Il se retrouvait seul avec cette maîtresse. Les autres enfants ne venaient plus. Des piquets de grève ont été installés. Je voulais continuer, malgré cela, à enseigner. Mon auto a été caillassée. Au bout de quinze jours de désordre, j’ai renoncé. Ensuite, au début des années soixante-dix, j’ai combattu pour la mixité dans les écoles. La cour de l’école, construite en 1960, séparait l’école des garçons de celle des filles par un fil de fer. Nous avons devancé d’un an la date légale de l’instauration de la mixité.
Catherine, élève dans un lycée public de jeunes filles à Angers
C’est un souvenir un peu indirect : en mai 68 ou juste après, le lycée où j’étais est devenu mixte. Avant, il y avait un grand lycée de filles et un grand lycée de garçons ; et alors là, on a vu arriver deux-trois garçons, mais ça suffisait… J’étais en seconde, et on a eu le droit d’aller au conseil de classe. Il y a eu les élections des représentants des élèves. Et moi, qui étais plutôt timide, je me suis immédiatement proposée. C’était une forme de prise de conscience politique, une manière aussi de devenir grande.